A la mémoire de Louis CROCQ

Louis CROCQ est décédé le 8 juin dans sa 95ième année.

Psychiatre militaire, médecin général des armées, agrégé en psychiatrie,

Docteur en psychologie, il fut et restera pour tous ceux qui l’ont rencontré une personne remarquable à de nombreux titres.

D’une grande érudition, passionné d’histoire, ses champs d’intérêt et de recherche allaient bien au-delà des seuls domaines de la psychiatrie et de la psychopathologie dont il connaissait presque intimement tous les grands textes et auteurs, classiques comme contemporains : philosophie, psychologie, sociologie, médecine, littérature, cultures grecque et latine, leurs tragédies et leurs grands mythes…

Dans les années 1950, il fut l’un des tout premiers (sinon le premier) à s’attacher à ré explorer et réhabiliter l’ancienne notion de névrose traumatique, en temps de guerre comme de paix, et à lui redonner une place à part entière dans la nosographie. C’est à ce domaine qu’il consacrera dès lors l’essentiel de ses travaux, dans une perspective originale et féconde à de nombreux points de vue.

Car loin d’en rester à la seule perspective psychopathologique, il en ouvrira le champ suivant plusieurs lignes de force novatrices. Et bien plus que le traumatisme psychique et ses conséquences, c’est l’être traumatisé et son devenir qui fut son souci profond. En cela sa pensée et sa pratique étaient loin de se clore en un seul traitement du trauma et visait à promouvoir une approche globale (psychologique mais aussi politique, sociale, juridique) de la personne victime psycho-traumatisée, de sa restauration et sa réhabilitation.

On lui doit ainsi une sémiologie raisonnée et complète des syndromes psychotraumatiques qui, loin de se réduire à un seul exercice formel, propose une véritable nosographie de terrain ouvrant à leur prise en charge à tous les temps et contextes de leur survenue et de leur développement.

Homme de conviction et d’engagement, il n’en est rapidement pas resté au seul domaine scientifique pour investir le champ des pratiques et de dispositifs novateurs à concevoir au regard des singularités irréductibles des troubles psychotraumatiques. C’est donc également sur le terrain politique et institutionnel qu’il s’est activement engagé, inventant, promouvant et expérimentant de nouveaux dispositifs tel celui de l’urgence médico-psychologique avec les CUMP en réponse aux désorganisations individuelles et collectives engendrées par toutes formes de catastrophes et événements violents.

Clinicien, il a lui-même développé la première consultation spécialisée à destination des victimes d’attentats.

L’on pensera également à la pratique, paradigmatique, du débriefing dont il ne cessera de préciser et promouvoir la méthode singulière (que ce soit en individuel ou en collectif), pratique allant au-delà d’une seule technique de soin puisqu’il s’agit d’appréhender et d’aider à donner sens à l’ici et maintenant d’une présence à un monde en effondrement et devenu hostile.

Il fut aussi un homme de transmission. Écrivain au style précis et rigoureux, toujours d’une grande clarté, il est l’auteur de centaines d’articles et de plusieurs ouvrages qui font référence. Mais l’on ne saurait oublier que la transmission orale fut son autre son mode privilégié d’expression. Ses conférences, enseignements, formations ont participé à sensibiliser et former un nombre incalculable de professionnels de tous horizons, étudiants, bénévoles (des dizaines de milliers certainement) à travers le monde. Sa force de conviction née de sa passion et de son engagement indéfectible dans son domaine de prédilection, son sens de la pédagogie, la rigueur de son propos, et aussi son humour, ont fait de lui un grand passeur d’idées.

En tout cela, il aura profondément marqué l’histoire de la psychiatrie et a participé à ses transformations contemporaines tant dans ses modèles, sa clinique, ses dispositifs de prise en charge que ses pratiques, autour de la pleine prise en compte des événements et contextes de vie, avec leurs impacts potentiellement disruptifs et délétères multiples.

C’est à ces titres qu’il a constitué d’évidence dans les années 2000 une référence première, fondatrice, à l’enseignement de Master 2 de Psycho-criminologie et Victimologie crée et dispensé à l’Université Rennes 2 Haute-Bretagne.

Il a ainsi, durant plusieurs années, accepté d’animer une journée complète d’enseignement auprès des étudiants de ce Master ; et d’en parrainer la promotion 2004-2005 qui porte son nom.

Sa venue fut chaque année un temps fort et marquant de l’enseignement de victimologie pour les étudiants.

J’ajouterai à titre personnel, qu’il me fit l’honneur d’être membre de mon jury de doctorat d’État en psychologie en 2011. Outre la source d’inspiration qu’il fut de nombreux chapitres, outre sa lecture approfondie et la pertinence de ses remarques, sa bienveillance et son humour ont grandement participé à faire de cette soutenance un moment sans pareil.

Pascal Pignol

Vice-président de la SBPCPV

* Voir dans la rubrique « Documentation – Archives » : Essai d’épistémologie autour des écrits victimologiques de Louis Crocq, par Pascal Pignol et Loïck M. Villerbu.


À Dominique Launat

Dominique LAUNAT nous a quittés et c’est avec émotion que j’ai écouté l’exposé de notre collègue Hélène LAIGO qui m’a replongé dans les premiers temps de la CUMP 35. Car Dominique en fut l’un des premiers membres actifs, toujours attaché à soutenir les formes novatrices de travail collectif en santé mentale.

Un souvenir précis m’est revenu. La CUMP naissante avait été sollicitée à la suite du suicide d’un étudiant sur un campus universitaire qui avait plongé tous ses collègues de promotion ainsi que les responsables du campus dans un grand désarroi.

Chargé de donner une réponse rapide à cette sollicitation, la toute première de cette nature, j’avais fait part à Dominique de mon souci de pouvoir y apporter une réponse appropriée et il s’était immédiatement proposé de m’accompagner. Nous avons ainsi ensemble imaginé, à mesure que nous découvrions la situation, une intervention multiforme susceptible d’aider les différents collectifs impliqués à surmonter l’état de crise qu’ils traversaient.

Le point d’orgue en fut un « débriefing » collectif à destination des étudiants, que nous avons animé ensemble, première expérience en la matière pour tous les deux. Celui-ci fut d’une grande intensité et a semble-t-il atteint les effets escomptés.

Cette intervention fut la première d’une série que nous avons menée ensemble.

C’est un exemple parmi tant d’autres de son indéfectible attention de psychologue, et de citoyen, à tout ce qui touchait au lien social dans ses multiples dimensions, instituées, associatives ou non, attentif à ses impasses, ses ratés, ses crises pour toujours s’efforcer de lui insuffler une nouvelle dynamique, en inventer des formes renouvelées.

Tenant de la psychothérapie institutionnelle, il ne cessait d’imaginer, soutenir et mettre en œuvre toutes formules créatrices susceptibles de le rendre toujours plus vivant afin que chacun trouve à s’y inscrire. Au sein du CH Guillaume Régnier, il s’y attacha tant du côté des soignants que des usagers.

Le collectif était son champ clinique de prédilection et il y a consacré inlassablement toute son activité et ses énergies.

C’est dire qu’il fut et restera un modèle d’engagement et d’inventivité pour beaucoup d’entre nous.

Pascal Pignol

Vice-président de la SBPCPV